Lassana Diarra, l'OM et l'effet relatif des contrats  

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Après presque deux saisons passées sans pouvoir jouer au football pour cause d'ennuis juridiques en Russie, Lassana Diarra, milieu de terrain passé par Chelsea, Arsenal et le Real Madrid, a crevé l'écran cette saison avec l'Olympique de Marseille. Alors qu'il s'apprête à disputer l'Euro 2016 avec l'équipe de France, le joueur vient de déclarer qu'il était libre de choisir son prochain club pour la saison à venir, en vertu de la clause libératoire à titre gratuit que l'OM lui aurait octroyée.

Diarra se déclare libre, l’OM l’estimerait à 15 millions #

Seul hic : l'OM, qui estimerait la valeur marchande de Diarra autour de 15 millions d'euros, compte bien tirer profit de son grand retour au très haut niveau. Le club soutient que la clause libératoire en question, signée par un président Labrune aujourd'hui très isolé au sein même de la structure, n'a aucune valeur juridique parce qu'elle n'a pas été présentée à la Ligue professionnelle de football pour homologation.

Qui est dans son bon droit dans cette affaire ? Voyons voir.

Premier élément : pour qu'un contrat entre un club et un joueur prenne effet, il doit être homologué par la Ligue. (Quand il engage un joueur, chaque club a l'obligation de transmette le contrat à la Ligue pour homologation. À défaut d'homologation, non seulement le joueur n'est pas autorisé à jouer, mais en plus l'exécution du contrat est suspendue par une clause prévue à cette effet : le plus souvent, le transfert est purement et simplement annulé.)

Une sombre histoire d’homologation #

En l'espèce, le contrat de Diarra à bien sûr été homologué (sinon il n'aurait jamais pu fouler les pelouses de Ligue 1), mais l'OM et le joueur ont signé, en plus du contrat principal (d'une durée de quatre ans), un second contrat, jamais présenté à la Ligue, offrant au joueur une clause de départ sans indemnité de transfert à la fin de la saison en cours.

C'est bien sûr interdit par les règlements, et donc pour la Ligue ce second accord n'existe pas, mais un contrat reste un contrat et, dès lors qu'il est régulièrement formé, doit pouvoir faire effet entre les parties.

De l’effet des contrats à l’égard des tiers… #

Que risque-t-il de se passer ? C'est très simple (ou pas) :

  1. Diarra va venir avec un club qui dira à l'OM : “En vertu de la clause libératoire gratuite, merci de bien vouloir m'autoriser à signer un contrat avec le joueur”.
  2. À quoi l'OM va bien entendu répondre : “Ah mais elle est n'est pas valide cette clause ! Ce joueur a encore trois ans de contrat chez nous : vous devez nous régler une indemnité pour l'engager !”
  3. En bonne logique, le club va expliquer à l'OM que, validée par la Ligue ou pas, la clause en question demeure pleinement applicable à l'égard des tiers de bonne foi, en droit français comme à peu près partout ailleurs.
  4. Et Diarra de s'écrier, à raison : “Selon les règlements c'était à vous, OM, de vous mettre en règle avec la Ligue. Si vous ne l'avez pas fait, je n'ai pas à en supporter les conséquences : respectez vos engagements et laissez-moi partir gratuitement !”

Or, pour qu'un joueur puisse jouer dans son nouveau club, la Ligue doit lui délivrer un bon de sortie, ce qu'elle ne fait que si la transaction est conforme à ses règlements… Résultat : le transfert ne peut a priori prendre effet que sur la base du contrat principal, mais le second contrat n'a aucune raison de ne pas engager ses signataires vis-à-vis des tiers !

Diarra victime d’un nouvel imbroglio juridique ? #

Ce joyeux traquenard peut finir d'une foule de façons, y compris devant la FIFA et/ou le Tribunal arbitral du sport. L'histoire pourrait donc se répéter pour le pauvre Diarra, qui risque de se retrouver à nouveau victime d'un imbroglio contractuel à coucher dehors.

Reste la question : si ce n'est pour compliquer volontairement la situation, pourquoi diable faire signer un contrat à Diarra sans le faire homologuer par la Ligue ?

En hébreu, il y a un proverbe qui dit : “Parfois, cent sages ne suffisent pas à déterrer du sol une pierre qu'un seul idiot a lancée”.

À moins que Lass Diarra trouve un club prêt à payer une indemnité — ou que l'OM accepte de revoir sérieusement à la baisse ses prétentions —, cette pierre-là me semble plutôt bien enterrée.

 
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