Le CSA est dépassé à l’heure des réseaux sociaux, l’épisode TPMP le prouve
L’affaire aurait fait plus de bruit si elle n’était pas intervenue à quelques jours du premier tour d’élections législatives qui monopolisent, et à juste titre, l’attention et le débat public. Mais cela n’empêche pas d’y revenir et d’en dire quelques mots, pour ce qu’elle raconte du rapport français aux médias et des rapports entre l’État, la société et le marché.
Cette affaire, c’est celle de la sanction prononcée le 8 juin par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) contre la chaîne C8 suite aux incidents survenus à deux reprises sur le plateau de son émission phare, « Touche pas à mon poste », animée par Cyril Hanouna.
Cette sanction, donc, intervient après deux épisodes survenus les 3 novembre et 7 décembre de l’année dernière sur le plateau de l’émission : un canular pathétique à destination du chroniqueur Matthieu Delormeau, puis ce qui ne peut être qualifié que comme un dérapage sexuel sur Capucine Anav. Pour la première fois depuis sa création, le CSA a utilisé ce qui, dans l’arsenal de mesures mis à sa disposition par la loi du 30 septembre 1986, fait figure d’arme nucléaire : l’interdiction de la publicité avant et après l’émission, pour une durée de trois semaines. Bilan : six mois après les faits, plusieurs millions d’euros de manque à gagner pour la chaîne.
Qu’on s’entende : il n’est pas question ici de rouvrir le vieux débat sur la nature et les objectifs du contrôle des contenus audiovisuels dans une démocratie. En France, les chaînes de télévision, pour se voir attribuer hier des fréquences hertziennes et aujourd’hui des canaux numériques, doivent s’engager auprès du CSA, autorité administrative indépendante et néanmoins émanation de l’État, à élaborer un cahier des charges relatif à l’origine et aux objectifs de leur programmation (par exemple les fameux quotas de productions françaises et européennes), et à respecter toute une série d’obligations qui dépassent assez largement le cadre classique de la liberté d’expression (lutte contre les stéréotypes, contributions à l’éducation de la jeunesse, etc.). On peut s’en féliciter ou s’en indigner, là n’est pas le cœur du sujet.
Il n’est pas question, non plus, de revenir sur les faits reprochés à Cyril Hanouna, ni de chercher quelque excuse ou justification à l’animateur. Dans les deux cas ayant donné lieu à la sanction du 8 juin, Cyril Hanouna a montré le pire de ce que pouvait être une émission de télévision : violence symbolique, humiliation, sexisme : difficile, croyait-on, de tomber plus bas.
Et pourtant ! Cyril Hanouna est tombé plus bas, sans même attendre la sanction du 8 juin. Ce faisant, il a fourni, bien malgré lui, la meilleure preuve à la fois de son irresponsabilité et de l’inadéquation de la sanction du CSA du 8 juin.
Explications. Le 18 mai dernier, toujours dans « Touche pas à mon poste », Cyril Hanouna décide, pour amuser son public, de passer une petite-annonce de rencontre homosexuelle, puis de prendre les réponses au téléphone en direct à l’antenne. La séquence pue l’humour pas drôle, la beaufitude crasse, l’humiliation gratuite — en deux mots, l’homophobie assumée. Sur les réseaux sociaux, les téléspectateurs expriment bruyamment et sans relâche leur indignation. Pendant plusieurs jours, le soufflé ne retombe pas, au point qu’un par un, les fidèles annonceurs publicitaires de l’émission annoncent leur décision de suspendre ici leurs engagements de parrainage, là leurs spots de publicité. Ceux qui traînent le pas, menacés de boycott par les internautes, lâchent à leur tour Hanouna.
Qu’en déduire ? Qu’à l’âge des réseaux sociaux et de « l’e-réputation », le marché est plus que jamais bien plus légitime, efficace et équitable que l’État pour sanctionner les comportements non vertueux. Là où la décision du CSA est à la fois tardive (six mois pour réagir !), arbitraire (pourquoi trois semaines ? selon quels critères ?) et sans recours (autre que contentieux), la réaction du marché est immédiate (quelques jours, voire quelques heures ont suffi), rationnelle (les annonceurs ont conditionné la reprise des contrats à des engagements concrets) et constructive (le dialogue s’est immédiatement ouvert entre la chaîne et les marques).
Au moment où ils débattent de la sanction du 8 juin, les membres du CSA sont inévitablement au courant de cette situation. Et c’est donc après que ce processus vertueux a été engagé entre les annonceurs, la production de l’émission et la chaîne que cette dernière se voit infliger plusieurs millions d’euros de manque à gagner par le CSA…
Que sert-il de taper aussi fort, aussi tard ? Si l’objectif est bien de contribuer à l’amélioration des programmes, et pas simplement de sanctionner arbitrairement la chaîne, pourquoi ne pas endosser plutôt un rôle de médiation, comme les textes l’autorisent, et accompagner le marché au lieu de s’y substituer ?
Voilà la véritable question que pose la sanction exceptionnelle du 8 juin. La prochaine décision, relative à la séquence du 18 mai, offrira au CSA l’occasion de montrer qu’il l’a compris.