Pour une reconnaissance constitutionnelle du secret des correspondances
Je craignais, vu l’unanimisme des premiers débats parlementaires, que la loi renseignement n’arrive jamais sur le bureau du Conseil constitutionnel. Le moins qu’on puisse dire, c’est que je me suis bien trompé : à l’issue de son vote par le Parlement, la loi devrait finalement faire l’objet de plusieurs saisines du Conseil constitutionnel, avec celles du Président de la République, d’une centaine de députés menés par Laure de la Raudière, et du Président du Sénat. Certains sénateurs pourraient également, faute d'être assez nombreux pour une saisine, déposer leurs observations.
On devrait retrouver dans le texte de ces saisines les inquiétudes que la loi a fait naître en matière de séparation des pouvoirs, de quasi-absence des recours offerts aux justiciables, et de respect de la vie privée. Mais s’il paraît évident à n’importe quel lecteur avisé que ces inquiétudes sont largement justifiées, l’examen de la loi sur le renseignement peut aussi fournir aux Sages l’occasion de consacrer un principe au moins aussi ancien et important : le secret des correspondances.
C’est l’argument que nous développons, avec Gaspard Koenig (président du think tank GenerationLibre), dans le mémoire que nous avons déposé aujourd’hui au Conseil constitutionnel (PDF).
Pourquoi insister sur le secret des correspondances ? #
D’abord parce que c’est une notion juridique à part entière, et pas seulement une extension de la liberté de communication ou du respect de la vie privée : revendication majeure du Tiers-État à l’Assemblée constituante, la liberté de communiquer de façon privée ne relève pas de la simple pudeur mais du droit.
Ensuite parce que le secret des correspondances remplit tous les critères des principes fondamentaux reconnus par les lois de la Républiques, ces grands principes que le Conseil constitutionnel a décidé d’ériger au rang de normes constitutionnelles — c’est-à-dire de valeur égale aux dispositions de la Constitution elle-même — depuis sa décision de 1971 dite « Liberté d’association ».
Le secret des correspondances, principe fondamental reconnu par les lois de la République #
Un principe fondamental reconnu par les lois de la République doit remplir les critères suivants pour être consacré par le Conseil :
- Être énoncé dans un texte législatif de portée générale antérieur à la Quatrième République ;
- Avoir été pris par un régime républicain ou par l’Assemblée nationale constituante ;
- Avoir fait l’objet d’une application continue ;
- Être consacré comme principe juridique général et non contingent ; et
- Concerner l’organisation des pouvoirs publics, la souveraineté nationale ou les droits et libertés fondamentaux.
Le secret des correspondances remplit chacun de ces critères :
- Il a été énoncé pour la première fois dans le code pénal de 1791, pris par la Constituante ;
- Il a été constamment appliqué par tous les régimes républicains qu’a connus la France, et d’ailleurs bafoué par tous les régimes anti-démocratiques ; et
- De nature générale (sauf à ne s’émouvoir, comme un certain nombre des soutiens de la loi, que de la violation des correspondances des gouvernants), il relève à l’évidence des droits et libertés fondamentaux.
Une reconnaissance indispensable contre la surveillance de masse #
Il est important que le Conseil constitutionnel sanctionne chaque violation (et elles sont nombreuses) par la loi sur le renseignement de la séparation des pouvoirs, du droit à un recours effectif pour les justiciables, et du droit au respect de la vie privée.
Mais il est absolument indispensable, pour que la surveillance de masse ainsi renvoyée par la porte ne puisse pas revenir par la fenêtre, qu’il consacre le secret des correspondances comme norme constitutionnelle à part entière, et déclare donc la loi sur le renseignement inconstitutionnelle non seulement dans son détail mais surtout dans son principe.