Twitter vs Journalisme  

(Texte initialement publié sur Blogger)

Le Chafouin pense que l'importance de Twitter, dans l'affaire iranienne comme en général, est exagérée. Il explique notamment que Twitter ne sert qu'à “transmettre des liens”, et donc pas à faire de l'information. Et qu'à ce titre, incapable de fournir une information fiable et vérifiée, il ne concurrence ni les médias, ni les journalistes. Je ne suis pas d'accord avec lui, et voici pourquoi :

1. Transmettre des liens, c'est — déjà — faire de l'information. Transmettre un lien, c'est — déjà – transmettre une information. À moins qu'il faille décider d'un seuil qualitatif en-dessous duquel il est interdit de parler d'information, ce à quoi je me refuse.

2. Les liens, ou les informations, peuvent être transmis de diverses façons.

Par exemple, ils peuvent être transmis par un à destination de plusieurs. C'est principe des “anciens” médias : presse écrite et audiovisuelle. L'information fait alors l'objet d'une diffusion.

Mais ils peuvent également, depuis peu, être transmis de proche en proche, selon une logique de réseau, ou de toile. C'est le principe des “nouveaux” médias : Twitter, Facebook, etc. L'information fait alors l'objet d'une série de conversations.

Les blogs, de ce point de vue, sont une forme hybride de communication, qui commence par une diffusion et se termine par une conversation.

3. Dès lors, même simple transmetteur de liens (ce qu'il n'est pas seulement), Twitter peut concurrencer, par hypothèse et quasi-étymologiquement, les anciens médias. Et même les blogs.

En effet, sans porter de jugement qualitatif sur la nature de la transmission, force est de constater qu'il est aujourd'hui possible de recevoir une information au terme d'une diffusion ou d'une conversation.

4. Dans le cadre d'un processus de diffusion, pour parcourir le chemin qui sépare sa naissance de son destinataire, l'information doit, par hypothèse, en passer par les divers filtres d'un diffuseur unique dont cette diffusion est la fonction : vérification des sources, politique éditoriale, stratégie commerciale, contraintes techniques, etc. En comparaison, dans le cadre d'un processus de conversation, l'information est transmise de façon décentralisée, et ne souffre donc successivement que les filtres bien plus légers du libre-arbitre de chaque membre du réseau.

Par conséquent, comme la preuve en a été apportée plusieurs fois récemment (amerrissage de l'Hudson, attentats de Bombay, élections iraniennes), c'est vers Twitter que de plus en plus de gens se tournent quand ils recherchent l'information la plus immédiate possible.

C'est pour cela que s'ils essaient de concurrencer Twitter sur le terrain de l'immédiateté, les médias médiats sont, effectivement, morts. Mais, heureusement, les gens ne recherchent pas toujours l'information la plus immédiate possible. Parfois (généralement, un peu plus tard), on recherche l'information la plus fiable. D'autres fois encore (encore un peu plus tard), on ne recherche pas simplement une information, mais une analyse.

Les médias médiats sont mieux équipés que Twitter pour fournir une information vérifiée : ils sont constitués de journalistes professionnels, formés, précisément, à apprendre à vérifier l'information. Ils sont également dans une meilleure position pour offrir des analyses : ils sont dirigés par des rédacteurs en chef souvent chevronnés et capables d'imprimer une ligne éditoriale à leur support.

Pour autant, il ne viendrait pas à l'esprit des analystes et des intellectuels de contester aux non-professionnels le droit de publier le fruit de leurs propres réflexions sur des blogs ou ailleurs. Pourquoi alors les journalistes professionnels devraient-ils snober la transmission d'informations sur Twitter ?

 
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