Pourquoi la loi Macron fait-elle si peur aux avocats ?  

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Bon. Je n’aime pas vraiment « parler boutique ».

Mais mercredi dernier, je me suis retrouvé dans le même train que les notaires et avocats grévistes en route pour manifester à Paris (moi, j’allais à LeWeb). Eux n’hésitent pas à « parler boutique », pour exposer à qui veut bien les entendre, et même à qui n’en n’a pas spécialement envie, combien la scélérate, l’immonde loi Macron risque de détruire tout ce qui fait de la profession d’avocat le plus beau métier du monde.

C’est bien leur droit — et un tel niveau d’exaspération dit quelque chose de l’état de la profession indépendamment du fond — mais je me dis, du coup, que c’est tout autant le mien d’avoir une opinion différente et de la partager.

L’abandon de la territorialité, une chance pour les avocats de province #

La première victime de la loi, c’est la territorialité de la profession d’avocat. Pour aller à l’essentiel, d’une part il ne sera plus nécessaire de prendre un avocat inscrit au barreau dans le ressort duquel vous entendez mener une action en justice, et d’autre part les avocats n’auront plus besoin d’être autorisés par un barreau pour y ouvrir un bureau secondaire.

Ces deux mesures, nous expliquent les opposants au projet, vont conduire à la colonisation des barreaux de province par les avocats parisiens. Mais à y regarder de plus près, la concurrence n’est-elle pas déjà faussée ? Depuis longtemps déjà, sur les plus gros dossiers, les cabinets provinciaux sont en perte de vitesse face aux grandes structures parisiennes, vers lesquelles les clients les plus sophistiqués ont pris l’habitude de se tourner pour les opérations les plus complexes et les affaires à fort enjeu.

Au moins la suppression de la territorialité permettra-t-elle aux avocats de province de lutter à armes égales en développant leur clientèle au-delà des frontières étroites de leur barreau d’origine, et donc de renverser un peu la tendance.

Financer la croissance des cabinets autrement qu’en faisant courir l’URSSAF #

Toilettage suivant, les structures d’exercice. Oui, la loi Macron permettra, sous diverses conditions, à des « non-avocats » d’entrer au capital des cabinets. Non, ça ne revient pas à « financiariser la profession », à « marchandiser le droit », ou que sais-je encore.

Il s’agit simplement de permettre aux avocats qui le souhaitent de financer leur croissance autrement que par des prêts bancaires ou en faisant courir l’URSSAF. À ce titre, un cabinet en bonne santé financière est mille fois plus indépendant vis-à-vis de ses clients et de ses créanciers qu’un avocat en exercice individuel étouffé par les dettes et sans aucune perspective de développement.

Sur l’avocat en entreprise, la confusion est totale #

Dernier sujet d’outrage, enfin, l’avocat en entreprise. À en croire ses plus féroces adversaires, cela reviendrait à autoriser les clients à salarier directement leurs avocats et, pire encore, à permettre aux juristes d’entreprise de devenir avocats de façon automatique après seulement cinq ans en poste.

Pour réaliser à quel point c’est doublement faux, il faut comprendre que l’avocat en entreprise vise avant tout à combler une lacune dans l’organisation de la profession en France : tandis que dans les systèmes anglo-saxons (entre autres) la qualité d’avocat se conserve pratiquement à vie dès la première inscription au barreau, quel que soit le mode d’exercice ou même la profession du candidat, dans l’organisation française on ne peut être avocat que si l’on exerce effectivement la profession, soit individuellement soit dans un cabinet, comme associé ou collaborateur. Résultat, tandis qu’aux États-Unis le juriste d’entreprise voit son travail couvert par le secret professionnel dès le jour où il a prêté serment, les travaux réalisés par son homologue français ne bénéficient pas de cette protection.

Mondialisation oblige, la plupart des multinationales subissent donc des « coupures » de secret professionnel selon que le travail est accompli, par exemple, par un juriste américain ou français. C’est cette faille qu’on entend réparer : d’une part les avocats pourront devenir juristes d’entreprise sans avoir à renoncer au secret professionnel, de l’autre les juristes verront leurs travaux protégés par ce même secret après cinq ans d’expérience — sans pour autant acquérir le droit de plaider.

Ce dispositif n’est peut-être pas la solution la plus élégante au problème, mais on voit mal en quoi il constituerait une menace pour les avocats. Au contraire, en évitant à ceux qui souhaitent « raccrocher la robe » de devoir quitter le barreau et renoncer au secret professionnel, il augmente la valeur des titulaires du CAPA sur le marché du travail !

Un peu d’ambition ! #

On le voit, cette loi Macron n’est pas la monstruosité que l’on dit. Pourquoi alors une telle levée de boucliers ? Peut-être parce que, derrière les postures et les effets de manche, les avocats sont comme tout le monde : en période de vaches maigres, la tentation du repli et la peur du changement l’emportent trop souvent sur la confiance et l’ouverture.

Pourtant, un peu d’ambition n’a jamais tué personne, et encore moins une profession toute entière…

 
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