Du référendum d'initiative populaire
(Texte initialement publié sur Blogger)
Ainsi donc, l'Assemblée nationale a voté, hier, le projet de loi constitutionnelle portant réforme des institutions. Le texte finalement soumis au vote est assez différent du projet initial soumis par le gouvernement ; en particulier, la nouvelle mouture se propose d'instituer le référendum d'initiative populaire.
De quoi s'agit-il ? En substance (dans Le Monde) :
A l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits, une proposition, à condition qu'elle ne vise pas à abroger une disposition législative promulguée depuis moins d'un an, pourra être soumise à référendum.
La France, comme la plupart des démocraties libérales, fonctionne selon le principe de la démocratie représentative. Le peuple, même souverain, exerce son pouvoir par le biais de l'élection, par laquelle il confère à ses représentants un mandat non impératif. On sent bien le caractère imparfait du système : les élections sont espacées de plusieurs années, et rien n'empêche un politicien peu scrupuleux de promettre à tort et à travers pour finalement n'en faire qu'à sa tête une fois son succès acquis. Comme disait, non sans cynisme, Jacques Chirac, “les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent” (Archives du Monde, 21 février 1988).
Face à cette problématique, le référendum d'initiative populaire vise à injecter une dose de démocratie directe dans le jeu politique. Ainsi, sur certains sujets où il existe dans un premier temps une certaine mobilisation populaire, puis dans un second un minimum de consensus, le peuple peut pour ainsi dire se passer de l'entremise de ses représentants, dont le crédit a été gaspillé soit par l'inaction, soit par une trop grande divergence de vues avec la vox populi.
En 1989 déjà, Charles Pasqua proposait d'inclure un tel dispositif dans la constitution. Deux questions se posent : pourquoi avoir rejeté (plusieurs fois) ce dispositif depuis maintenant près de vingt ans ? et pourquoi a-t-il de si bonnes chances d'être adopté aujourd'hui ?
La première raison pour laquelle le référendum d'initiative populaire s'est régulièrement heurté au refus de la plus grande majorité de la classe politique, c'est probablement que les élus sont jaloux de leur pouvoir, ce qui se comprend. Jaloux de leur pouvoir, mais surtout de leur expertise : la légistique - préparer, rédiger, négocier, discuter et, ultimement, voter les textes législatifs -, c'est un métier, qui en outre s'accomode mal des soubresauts souvent passagers de l'opinion publique.
De plus, la bonne tenue du jeu politique nécessite l'existence d'une majorité parlementaire un tant soit peu coordonnée, capable d'afficher un minimum d'objectifs communs (si possible un programme), et de s'accorder sur les grands textes à voter pour les atteindre. Comment maintenir ce cap lorsque, même sous certaines conditions, une frange de la population peut à tout moment confisquer ces prérogatives et soumettre directement telle ou telle proposition au suffrage ?
Le risque est grand de céder à une forme de démocratie d'opinion, où l'émoi permanent serait substitué au travail des commissions parlementaires.
Pourtant, comme on le voit, ce mécanisme si contestable n'a jamais été aussi près d'intégrer les institutions de la république. Pourquoi ?
C'est que les parlementaires de 2008 aspirent à tout ce qui répugnait à ceux de 1989. Quand les uns rechignaient (peut-être de trop) à écouter l'opinon, les autres lui vouent un culte facilement révélé par un atterrant manque de courage politique. Là où, hier encore, on essayait (même mollement) de tenir un minimum d'engagements, on navigue aujourd'hui à vue toutes voiles dehors.
Comment comprendre autrement qu'un ancien avocat puisse, sur un sujet qui déchaîne les passions mais embrume les esprits, tenir des propos plus dignes du café du commerce que du palais de justice ? Comment analyser, aussi, le ridicule dans lequel se plongent un président et sa majorité incapables l'une de se réunir à l'heure dite pour voter un texte, l'autre d'annoncer telle mesure en se posant au préalable la question de son financement ? Que sous la pression d'une majorité asservie à l'opinion publique, on bafoue la séparation des pouvoirs sans même ouvrir un code de procédure civile ?
Il faudrait faire porter le premier de ces référendums sur une révision de l’article 180 honni des bonnes âmes ; la boucle serait bouclée.
On a longtemps reproché aux élus de la république de subtiliser le pouvoir pour n'en rien faire. Voici qu'à force de cynisme et d'irresponsabilité, ils ont trop bien reçu le message — ils démissionnent.