En pleine épidémie, la loi Avia règle son compte à la liberté d’expression  

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C’est un classique des films-catastrophe : lorsqu’un fléau s’abat soudainement sur la ville — invasion extraterrestre, dinosaures lâchés dans la nature, déchaînement climatique, pandémie incontrôlable… —, il se trouve toujours quelque brute sans scrupule pour régler son compte, en plein chaos, à un pauvre type plutôt sympathique contre qui elle avait une dent depuis un moment. Quand l’ordre du monde vacille, pas de chance pour les pauvres types sympathiques, la loi du plus fort reprend ses droits.

Remettre la liberté d’expression entre les mains d’une justice aussi privée qu’expéditive ne va pas de soi

Voilà l’image qui m’est venue à l’esprit hier après-midi quand j’ai vu passer sur mon fil Twitter, au milieu des #coronavirus, #covid19, #confinement et autres #chloroquine, la nouvelle du vote définitif de la loi Avia contre la « cyberhaine » à l’Assemblée nationale.

Si vous ne voyez plus du tout de quoi il s’agit, je vous pardonne bien volontiers : on avait tous d’autres chats à fouetter, ces derniers temps, que de se tenir au courant des moindres assauts de la bien-pensance contre la liberté d’expression.

Une loi liberticide #

Voici de quoi il retourne : à partir du 1er juillet de cette année, les réseaux sociaux devront retirer les contenus « manifestement » homophobes, racistes ou sexistes vingt-quatre heures au plus tard après leur signalement par un utilisateur. À défaut, le CSA pourra infliger aux Facebook, Twitter et autres Instagram une amende allant jusqu’à 4 % de leur chiffre d’affaires mondial (si ce montant vous rappelle quelque chose, c’est normal : c’est le même que celui fixé par le RGPD).

Sur le fond, cette loi est hautement discutable. Si on peut admettre que la propagation de la haine en ligne appelle de nouveaux moyens d’action, remettre la liberté d’expression entre les mains d’une justice aussi privée qu’expéditive ne va pas de soi. Les plateformes ne prendront aucun risque, et préféreront en enlever de trop que pas assez, à grands coups d’algorithmes ; à un tel niveau de sanction, on peut les comprendre. Sur la forme, c’est carrément baroque : depuis quand le CSA, déjà à la ramasse sur l’audiovisuel, est-il le moins du monde qualifié pour jouer les gendarmes d’internet ?

Un nouveau coup de canif dans la liberté d’expression #

On aurait aimé avoir, dans une actualité plus sereine, c’est-à-dire moins saturée de questions de vie ou de mort, un débat digne de ce nom, au Parlement et en-dehors, avec une vraie réflexion sur l’impact de la loi et des garanties concrètes d’équité. Mais ce texte, qui réussit l’exploit de porter un nouveau coup de canif dans la liberté d’expression tout en inscrivant dans le marbre de la loi l’influence des plateformes sur le débat public, est passé comme une lettre à la poste au cœur de la plus grande période d’incertitude et de chaos que la France ait connue depuis la Libération.

Les brutes qui règlent leurs comptes en pleine tempête l’emportent rarement au paradis #

Emmanuel Macron avait pourtant annoncé, le soir du 16 mars, la suspension de toutes les réformes tant que le coronavirus tourmenterait le pays. La liberté d’expression ne méritait-elle pas même le sursis accordé à un système de retraites inégalitaire, misogyne et au bord du gouffre financier ? Il faut croire que non.

Toujours est-il que ceux qui ont une dent contre la liberté d’expression feraient bien de retenir la leçon des films-catastrophe : les brutes qui règlent leurs comptes en pleine tempête l’emportent rarement au paradis.

 
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