L'antisémitisme contemporain
(Texte initialement publié sur Blogger)
Siné, encore et toujours. La polémique ne s'éteint pas : Rioufol et Joffrin, dont l'inhabituelle proximité sur ce sujet me rassure, en remettent une couche chacun. Ils ont bien raison.
Aussi, Authueil a publié aujourd'hui un billet en dessous duquel j'ai beaucoup commenté, pas toujours sereinement d'ailleurs - ce qui reflète, un peu maladroitement j'en conviens, combien je suis en désaccord avec lui sur le sujet. Heureusement, Hugues est autrement plus habile que moi.
Je ne suis pas d'accord pour dire que les mots de Siné sont anodins : j'y vois au contraire tous les éléments du vieil antisémitisme français, celui qui se retrouve hélas autant chez une certaine gauche que chez une certaine droite. Ecrire que le propos n'est tout simplement peut-être “pas forcément agréable pour la communité juive”, je trouve cela absolument inacceptable. Notez le glissement : il ne s'agit plus d'antisémitisme, mais de blesser ou non la “communauté juive”. Rien d'objectif là-dedans, simplement une histoire de victimologie. De là à écrire que Siné n'a fait que réveiller un puissant lobby, il n'y a qu'un pas.
Ce pas est pratiquement franchi par Authueil dans son second paragraphe, lorsqu'il écrit :
Enfin, cela a permis à ceux (BHL entre autres) qui se posent en grands champions de la lutte contre l'antisémitisme (réel et surtout imaginaire), d'ajouter une tribune de presse à leur compteur et de marquer ainsi leur territoire symbolique (eux seuls sont légitimes à s'exprimer contre l'antisémitisme).
Je passe ensuite sur la dénonciation de l'intelligentsia de Saint Germain, qui décolle difficilement du niveau des pâquerettes. La conclusion est bien plus savoureuse :
Pas la peine donc de creuser et d'analyser, cela n'a aucun intérêt !
La messe est dite. Circulez, y'a rien à voir.
Laurent Joffrin retrouve bien une ancienne citation de Siné, mais j'imagine qu'elle sera encore plus facilement écartée que la première.
Je suis antisémite et je n'ai plus peur de l'avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs. Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s'il est pro-palestinien. Qu'ils meurent.
La parade est toute trouvée : c'est de la provocation ! Une allusion antisémite, ça n'est pas assez ; une attaque frontale, c'est de la provocation. Hugues a raison d'écrire :
« Mais, rétorquerai-je alors*, quand avez-vous admis, pour la dernière fois, qu'il existait de l'antisémitisme réel ? Je veux dire, depuis la fermeture des camps de concentration ? Et d'ailleurs, puisque toutes les dénonciations de l'antisémitisme sont désormais perçues comme de la stratégie ou de la paranoïa, quelle est votre définition de l'antisémitisme contemporain ? »*
Ma définition de l'antisémitisme contemporain, c'est un retour à l'antisémitisme de Paul de Tarse, adapté pour les besoins de la cause aux pseudo-universalismes contemporains. C'est dire que le nom Juif n'existe pas.
Il existe une “communauté juive” - d'ailleurs un peu trop bruyante et facilement outragée - ; il existe aussi une entité, Israël, fiction juridique au service d'une vaste entreprise de colonisation et de persécution ; il existe une religion juive - dans le meilleur des cas interchangeable avec toutes les autres dans le grand combat pour la laïcité, et dans le pire, la première à abattre car matrice des deux autres. Mais pas de peuple juif. Pas de Juif.
Et donc pas d'antisémitisme. Des maladresses, des provocations, des idées qui dérangent… mais pas d'antisémitisme.
Alors je sais bien qu'Authueil n'est pas antisémite. Je ne lui fais pas l'affront d'imaginer une seconde qu'il puisse l'être - qu'on ne me fasse pas celui de croire que je l'en accuse. Même si je ne saurais trop marquer mon désaccord à la lecture de son texte, ce n'est pas tel ou tel auteur que je vise dans ce billet, mais bien plutôt une certaine disposition d'esprit qui s'installe peu à peu dans la société française. La vigilance est devenue paranoïa ; la rectitude morale intolérance. Tout cela me rappelle les mots suivants :
Je me souviens de la fois où j'ai été kidnappé et qu'on a envoyé un morceau de mon doigt à mon père. Il a dit qu'il voulait plus de preuves.
— Rodney Dangerfield, comique américain né Jacob Cohen en 1921 et décédé en 2004.